La preuve et l'utilisation   
du courriel à l'insu de son auteur 
 
David G. Masse1 
© 2000
 
 
WWW.MASSE.ORG
 
Texte d'une conférence donnée par l'auteur dans le cadre du programme de formation permanente du Barreau du Québec, publié dans Dévelopements récents en droit civil, Volume 143, Les éditions Yvon Blais, Montréal, 2000, à la page 145.
 
 
Table des matières
 
Introduction 1  
Mise en contexte 9  
Les caractéristiques de l'information numérique 12  
L'admissibilité du courriel en preuve dans une instance civile 30  
 Les écrits instrumentaires 31  
    Admissibilité 50  
    Valeur probante 53  
 Les faits matériels 66  
    Admissibilité 68 
    Valeur probante 82
 Les documents numériques et les dispositions statutaires particulières 84 
 Un pas dans la bonne direction? 91 
Le droit de l'auteur de s'objecter à la mise en preuve de son courriel 95  
 La vie privée et la Charte des droits et libertés de la personne 102  
    La jurisprudence avant l'entrée en vigueur du Code civil du Québec 121  
    L'impact du Code civil du Québec 139  
 Que nous réserve l'avenir? 180  
Conclusion 187 
Notes de fin de texte 194 
Bibliographie195

[1]   Introduction

[2]  Le titre proposé pour cette étude a suscité mon intérêt de façon naturelle et immédiate et je l'ai adopté comme tel malgré l'invitation qui m'était faite de le changer à ma guise à l'intérieur du sujet plus vaste des incidences juridiques des nouvelles technologies.2  Mais pourquoi cet attrait naturel?

[3]  La numérisation transforme notre vie en nous permettant de recevoir et de transmettre l'information beaucoup plus efficacement que par tous les temps passés.  L'individu a maintenant le potentiel d'une visibilité mondiale jadis réservée seulement aux personnages célèbres.  Avec un simple site Internet, un individu peut rivaliser les plus importantes sociétés commerciales et accéder à un important public mondial.

[4]  Nous ne pouvons faire autrement que constater que cette visibilité potentielle est définitivement une lame à deux tranchants.  Elle peut être désirable et donc bénéfique, mais du même coup et au même degré, elle peut nous enlever les avantages de notre vie privée.

[5]  Il est donc tout naturel, et tout à fait approprié, que notre préoccupation avec les nouvelles technologies marche de pair avec notre préoccupation pour notre vie privée.  L'impact de la marche technologique sur la vie privée, particulièrement accrue par l'avènement d'Internet, est un constant qui avait déjà été remarqué alors que l'ordinateur personnel ne faisait que ses premières percées dans notre quotidien.  Le professeur Pierre Patenaude s'exprimait de la façon suivante au sujet des développements technologiques en 1986:

[6]  "L'évolution des nouveaux moyens de reproduction peut aider le juriste.  Ainsi le développement récent des techniques de photocopie allège notre tâche.  En contrepartie, cependant, l'étude des techniques de surveillance, photographies et enregistrements, utilisées à des fins de preuve inquiète: on croirait lire un roman d'anticipation machiavélique.  Il faut se rendre à l'évidence: la moindre parole, le geste le plus discret peuvent être captés et fixés, l'intimité est battue en brèche"3
[7]  Le titre qui a été proposé pour cette étude se situe donc en quelque sorte à l'intersection de ces deux tendances lourdes et mérite grandement qu'on s'y attarde.  Cette conjoncture est d'ailleurs reflétée dans la juxtaposition de nouvelles suites d'articles du Code Civil du Québec qui traitent d'une part des inscriptions informatisées, et d'autre part du respect de la vie privée.

[8]  Avant d'aborder cette analyse juridique il convient de bien cerner l'environnement social et technique qui marque la conjoncture de l'information et de la technologie.

[9]  Mise en contexte

[10]  Nous dépendons de plus en plus d'une économie fondée sur l'information.  L'information est la matière première de cette économie et la numérisation est l'usine qui la transforme et la valorise. La numérisation transforme l'information de façon fondamentale et donne lieu, en conséquence, à des résultats qui ne nous sont pas tous immédiatement apparents. Notamment, les procédés et les conséquences de la numérisation de l'information posent d'importants défis, entre autres, en matière de vie privée et de l'administration des procédés de preuve devant nos tribunaux.

[11]  Il est donc important, voire primordial, pour les juristes de bien cerner les risques et les opportunités que la numérisation présente quotidiennement afin de nous permettre de conseiller nos clients de façon avertie et professionnelle. Pour bien faire, nous devons soigneusement penser et repenser les rapports et interrelations entre l'information numérique et notre contexte juridique et éviter de reposer trop de confiance, en autant que possible, dans nos préjugés concernant les qualités et les défauts de l'information sur supports traditionnels.

[12]  Les caractéristiques de l'information numérique

[13]  Prenons seulement quelques caractéristiques de l'information numérique, et voyons à prime abord leur impact sur la vie juridique, en gardant bien en tête le titre de cette étude:

 
[14]  La preuve et l'utilisation du courriel à l'insu de son auteur…

[15]  Contrairement à l'information traditionnelle, l'information numérique est indépendante de sa forme, elle est très facilement transmissible, elle a une grande tendance à persister, et elle permet et invite l'interaction.

[16]  Attardons-nous en premier lieu sur la qualité qu'il me convient de nommer l'indépendance de la forme. Toute information numérique se résume à une simple suite de "1" et de "0".  Ce sont les deux seuls caractères du langage binaire.  En autant que la suite de caractères binaires demeure essentiellement la même, le sens de l'information demeurera complètement intégrale.  Contrairement à l'information traditionnelle, le fait de copier l'information numérique ne la dégrade absolument pas.  Nous verrons que cette caractéristique pose des défis importants sur le plan juridique.  En ce qui concerne cette indépendance, interrogeons-nous tout d'abord sur ce que nous entendons par "courriel".

[17]  Compris au sens large, le courriel est l'émanation numérique de nos pensées, voire même de notre existence.  Nous envisageons facilement les messages de courriel que nous rédigeons au clavier et que nous envoyons à un destinataire. Mais y-a-t-il une distinction à faire entre un courriel adressé à un particulier et un courriel adressé à une liste de discussion? Devons-nous distinguer entre les données que nous transmettons dans un courriel traditionnel et ceux transmis à l'aide d'un courriel Web comme le service Hotmail de Microsoft? Sinon, que dire des données que nous transmettons via nos interactions sur un site Web traditionnel lorsque nous répondons à un sondage ou autre questionnaire? Si nous affichons un texte sur le Web dans un Wiki?4   Que dire de la suite de nos choix lorsque nous naviguons de site en site en quête d'information et qui sont publiés sur le réseau en temps réel?  Que dire des cookies5 enregistrés sur notre disque pour faciliter nos interactions sur les sites que nous fréquentons et qui sont mis-à-jour et transmis, le plus souvent à notre insu? Est-il légitime de distinguer du courriel les messages vocaux que nous laissons fréquemment et qui sont de plus en plus transformés en texte, ou vice versa, pour faciliter les boîtes de correspondance universelles? Que penser des fichiers que nous joignons régulièrement à nos messages? Les informations que nous transmettons via infra-rouge de nos ordinateurs de poche et ceux qui sont transmis en onde par nos télé-avertisseurs interactifs et nos appareils cellulaires à service numérique? Nos choix de divertissements multimédia transmis aux prestataires de services numériques par satellites ou par câblo-distribution? Nos listes d'emplettes que nous maintenons sur les sites des services d'épicerie et autres commerçants désormais présents sur Internet? Les instructions virtuelles que nous acheminons à nos courtiers en valeurs mobilières? Les informations transmises de plus en plus via Internet pour notre compte par les robots de domotique? Nos touches au clavier qui sont transmis en temps réel par fréquence radio? Ceux qui seraient transmis par un virus ou un vers contaminant notre ordinateur?  Si nous concluons que le mot "courriel" dans le titre de cette étude est un faisceau trop étroit pour bien illuminer la problématique, nous nous dirigeons dans la bonne voie… et ce n'est à peine qu'un début.

[18]  Nous ne devons pas nous attarder très longtemps sur la question de la transmissibilité de l'information numérique car le courriel est l'exemple par excellence de sa transmissibilité.  L'immense popularité que le courriel s'est mérité dans l'espace de seulement quelques années est sans précédants.  Pratiquement inconnu il y a peine six ou sept ans, le courriel rivalise maintenant la télécopie comme mode dominant de transmission.  La facilité de transmission de l'information numérique n'est limitée présentement que par son volume en termes d'octets et par la capacité de notre branchement à Internet.  Avec la disponibilité croissante de liens Internet fonctionnant à des vitesses de mégaoctets à la seconde, les limites de la transmissibilité de l'information numérique auront bientôt été pratiquement anéanties.

[19]  Si l'information numérique se transforme et se transmet aisément, elle est également persistante.  Si fragile de sa nature même, n'étant qu'une simple suite de symboles binaires dont la moindre perturbation efface la signification, l'information numérique a dû puiser sa force dans sa maniabilité.  Les algorithmes de traitement de données copient et transposent l'information numérique chaque fois que l'information fait l'objet d'un traitement.  Que ce soit pour les fins d'affichage à un écran, d'envoi en impression, d'écriture en mémoire ou de transmission en réseau, les données sont copiées aux fins de transmission et sont comparées régulièrement à la source et à la destination afin d'en vérifier l'intégrité.  Les sosies de l'information qui résultent forcément de ce traitement sont parfois oblitérées,6  parfois pas.  Certaines copies réalisées pour fins de sauvegarde peuvent subsister indéfiniment.  D'autres copies  réalisées sur le réseau informatique pour alléger l'impact de demandes répétées pour la même information, peuvent également subsister longtemps.

[20]  Le courriel est, par sa nature, une forme de données particulièrement persistante.  En sus des exemples cités ci-dessus, nous devons considérer qu'un seul message existe sans doute dans un répertoire de courriel envoyé pour les fins de l'auteur, dans un répertoire de courriel reçu pour les fins du destinataire, sur les ordinateurs appartenant aux prestataires de service de courriel, sur les copies aux fins de sauvegarde de chaque ordinateur impliqué dans l'échange et la transmission, et peut-être bien ailleurs, particulièrement si le courrier est renvoyé par une des parties à l'échange primitive à d'autres destinataires.  Dans le cas de courriel envoyé à un newsgroup, une archive importante indexée aux fins de recherche existe au site Internet Déjànews.7   Il en est de même dans le cas de plusieurs listes de discussion, comme la liste Obiter8 pour les avocats francophones.  Il en résulte que, contrairement à l'humble lettre échangée jadis par nos ancêtres avec son existence quasi-unique, le message de courriel ne disparaîtra que dans la mesure où chacune de ses instances est détruite de façon irrécupérable.

[21]  Mais même l'effacement volontaire du message ne suffira pas nécessairement pour oblitérer l'information.  Car les ordinateurs n'effacent en réalité que rarement les données mises au rebus.  Lors de l'effacement de données, l'ordinateur ne fait que supprimer l'inscription de l'endroit en mémoire où les données à effacer ont été inscrites, et rend cet endroit disponible pour de nouvelles écritures.  Pour cette raison, il est souvent possible de récupérer les données numériques jadis effacées, en autant que leur adresse en mémoire n'ait pas été utilisée entre temps, en tout ou en partie, pour héberger de nouvelles données.

[22]  Tout cela pour dire que nos anciennes pensées numérisées sont beaucoup plus susceptibles de revenir nous rendre visite de façon imprévue, que nos vieux mots d'amour manuscrits.

[23]  Enfin, examinons brièvement l'aspect interactif de l'information numérique.  La grande puissance de l'information numérique est qu'elle a été spécifiquement conçue pour permettre son traitement informatique, ce qui nous permet d'interagir avec elle.  Les types de traitements interactifs ne sont limités, à toutes fins pratiques, que par l'imagination des concepteurs de logiciels. Nous n'avons qu'à songer aux logiciels de traitement des images numériques qui permettent maintenant de manipuler, presque sans fin, l'aspect d'une image.   De plus en plus l'avenir tend vers un monde où le traitement de données se fait en réseau et où les données sont structurées de façon à favoriser encore davantage leur interactivité.9

[24]  La forme la plus simple des traitements interactifs est celle de la recherche.  Les algorithmes de recherche sont maintenant ultra-puissants.  Ce sont ces algorithmes qui réussissent à distiller du parfait désordre aléatoire qui règne sur l'Internet, la plus importante source d'information jamais connue.  Les araignées de recherche10 se promènent plus ou moins aléatoirement sur l'immense toile qu'est Internet et recensent continuellement son contenu textuel.  Les résultats s'affichent généralement en quelques secondes, avec les résultats plus souvent qu'autrement triés par degré de pertinence.  Les sites de recherche les plus évolués analysent la nature de l'information, sa structure logique et la façon qu'elle est inter-liée, pour permettre de repérer l'information pertinente encore plus rapidement et de repérer non seulement l'information textuelle, mais également les sons et les images.

[25]  Force est de conclure, que si une information numérique a vu le jour et qu'elle persiste, que ce soit sur le disque fixe d'un ordinateur quelconque, ou sur un réseau informatique, peu importe la forme qu'elle revêt, sans égard au volume de la collection d'information dans laquelle elle subsiste, ni à l'importance du réseau qui l'abrite, il y a de fortes chances qu'elle puisse être facilement et rapidement repérée pour permettre que la valeur qu'elle recèle soit exploitée.  Il en va de même pour les données qui peuvent n'avoir qu'une existence éphémère, comme c'est le cas de données qui filent en transit à la vitesse des électrons: l'utilisation de filtres numériques nous permettent, à la façon d'un prédateur redoutable, de flairer au passage une masse d'information très importante et d'y retracer notre proie.

[26]  La valeur que recèle l'information numérique est, sans l'ombre d'un doute, une valeur désormais économique.  Cette valeur économique de l'information peut résider dans sa valeur commerciale (c'est le cas de d'oeuvres littéraires et artistiques, de logiciels, ou de compilations de données) ou dans sa valeur stratégique (comme, à titre d'exemple, l'information confidentielle ou celle qui a une valeur probante aux fins d'une instance judiciaire).  Dans tous les cas la valeur économique de l'information est libérée lorsque nous en prenons connaissance, en d'autres mots, par l'acte de sa consommation.  La façon d'exploiter cette valeur est donc d'en contrôler la diffusion.  Certaines informations, comme les oeuvres littéraires et artistiques, peuvent s'apprécier successivement, tandis que d'autres ne sont sensées servir qu'à une seule reprise.11

[27]  L'auteur de l'information est le producteur de cette valeur économique et est donc celui qui a le plus grand intérêt à en contrôler la diffusion.  Le degré de contrôle que nous sommes en mesure d'exercer sur un bien quelconque et qui détermine en grande mesure son potentiel économique, relève essentiellement de notre contexte juridique.  Notre recours ultime, dans la mesure où nos droits ne sont pas respectés, est un recours à une instance judiciaire ou quasi-judiciaire. Les caractéristiques inhérentes de l'information numérique, que nous avons vues ci-dessus, c'est-à-dire sa capacité de transformation, sa transmissibilité, sa persistance et son interactivité, posent d'importants défis pour le droit, ce qui influe directement sur le contrôle que l'auteur peut espérer exercer sur la valeur économique de l'information qu'il produit.

[28]  Cette valeur économique de l'information sera sans doute portée à s'accroître au fur et à mesure du développement de la technologie numérique.  Cette croissance mettra de plus en plus de pression sur notre environnement social, et fera accroître en même temps et de façon correspondante, la valeur que nous attachons au respect de notre vie privée.  Notre vie privée c'est en d'autres mots notre capacité d'empêcher que l'information que nous générons dans le quotidien de notre existence ne soit exploitée contre notre gré.

[29]  Notre exploration de ce sujet très vaste se limitera aux impacts en droit civil, et plus particulièrement, à deux aspects de l'information numérique qui posent présentement des défis importants pour le monde juridique: toutes deux touchent de façon intime à l'exploitation de la valeur stratégique de l'information numérique: son admissibilité en preuve et la capacité de l'auteur de s'objecter à cette admissibilité.

[30]  L'admissibilité du courriel en preuve dans une instance civile

[31]  Les écrits instrumentaires

[32]  Notre loi sur la preuve, comme celle de toutes les sociétés civilisées, a pour objet de favoriser l'exposition devant nos tribunaux de la vérité par rapport à un ensemble de faits souvent contestés. Le caractère véridique d'une information est intimement lié à son authenticité qui est intimement liée à son origine. Plus on est en mesure de cerner le renseignement à son origine, plus le renseignement est authentique, et plus il est digne de confiance comme élément de preuve devant nos tribunaux.

[33]  Dans tous les cas des communications analogiques, le support est toujours unique et original. Même dans le cas du journal quotidien tiré sur des milliers d'exemplaires, chaque exemplaire est atomiquement, chimiquement unique car il s'agit d'un meuble corporel. C'est le phénomène de l'originalité. L'originalité du support, indissociable de l'information qu'il véhicule, prête à l'information écrite sur support papier ce caractère d'originalité. Puisque l'originalité de l'information est indissociable de l'originalité de son support dans les communications analogiques, il n'est pas surprenant de constater que tous les régimes de preuve privilégient l'écrit et attachent énormément d'importance à l'originalité des documents mis en preuve. Il en ressort la règle de la meilleure preuve dans les pays de common law, et la règle de la prééminence de l'écrit dans la hiérarchie des preuves dans les pays de tradition civiliste.

[34]  Le document numérique est dans un certain sens l'expression humaine parfaitement abstraite et complètement virtuelle. Alors que le support sur lequel le document numérique est inscrit est bien tangible, corporel et donc unique en son genre, l'oeuvre numérique étant indépendante de sa forme, elle peut se dissocier de son support et s'envoler vers un nouveau support momentanément. Tout au cours de son existence, elle ne cesse de changer de support. Elle n'a donc pas de lien indissociable avec son support. Par le fait même, elle n'a pas d'originalité essentielle.

[35]  Puisque le document numérique n'est jamais rien de plus qu'une série de bits inscrits sur un support informatique, il devient très facile de modifier le document en modifiant la série de bits. Une fois modifié, il devient pratiquement impossible de distinguer l'original du faux.  Dans le cas des documents sur support papier, le faux est évidemment possible. Mais l'indissociabilité entre l'information et son support oblige celui qui voudrait falsifier le document à falsifier non seulement le renseignement, mais également le support sur lequel il est inscrit. Ceci s'avère une tâche souvent très compliquée, surtout lorsque le support, comme c'est le cas des billets de banque, est d'une composition physique telle que la falsification devient pratiquement impossible à dissimuler.

[36]  Cette indépendance du document numérique font à la fois sa grande force et sa grande faiblesse. Sa force, car le document numérique est très facilement transmissible et peut se retransmettre à l'infini sans être dénaturé, sa faiblesse car il est impossible de distinguer une instance d'un document numérique d'une autre ni d'apprécier la source des modifications que le document numérique a pu subir en cours de route. Cette faiblesse pose un défi important pour nos règles de preuve qui privilégient l'originalité.

[37]  Le Code civil du Québec traite donc tout particulièrement de la preuve des inscriptions informatisées. Il comporte une petite suite d'articles qui ont déjà fait couler beaucoup d'encre chez les commentateurs, même si la jurisprudence n'est pas venu jeter beaucoup de lumière sur eux.12

[39]  Il convient de les reproduire intégralement:

[40]   "2837.  Lorsque les données d'un acte juridique sont inscrites sur support informatique, le document reproduisant ces données fait preuve du contenu de l'acte, s'il est intelligible et s'il présente des garanties suffisamment sérieuses pour qu'on puisse s'y fier.

[41]  Pour apprécier la qualité du document, le tribunal doit tenir compte des circonstances dans lesquelles les données ont été inscrites et le document reproduit.

[42]  2838.  L'inscription des données d'un acte juridique sur support informatique est présumée présenter des garanties suffisamment sérieuses pour qu'on puisse s'y fier lorsqu'elle est effectuée de façon systématique et sans lacune, et que les données inscrites sont protégées contre les altérations. Une telle présomption existe en faveur des tiers du seul fait que l'inscription a été effectuée par une entreprise.

[43]  2839.  Le document reproduisant les données d'un acte juridique inscrites sur support informatique peut être contredit par tous moyens."

[44]  La première chose à remarquer à la lecture de cette petite suite d'articles c'est que ces articles ne trouvent application que dans le cas de l'acte juridique inscrit dans un document numérique. Il ne s'agit donc dans ces articles que de la valeur d'une information numérique en tant qu'effet instrumentaire. Dans un deuxième temps, force est de constater que ces articles ne font pas du document numérique un écrit au sens de la loi. L'article 2837 ne fait qu'admettre en preuve l'écrit "reproduisant ces données".

[45]  En effet, le législateur, en adoptant le Code civil du Québec, a choisi de ne pas retenir l'article 17 de l'ancien code qui traitait des questions d'interprétation. De ce fait, le Code civil ne contient plus de disposition définissant l'écrit. Toutefois, cette même définition demeure en vigueur sous l'empire de la Loi d'interprétation L.R.Q., c. I-16, à l'alinéa 21 de l'article 61:
 

[46]  "21. Les mots écritures, écrits et autres, ayant la même signification, comprennent ce qui est imprimé, peint, gravé, lithographié, ou autrement tracé ou copié." [italiques de l'auteur]
[47]  Nous verrons effectivement ci-dessous que le schéma des articles 2837 à 2839 écarte, à toutes fins pratiques, l'argument en faveur du document numérique en tant qu'écrit. Il est vrai qu'en aménageant un schéma traitant des inscriptions informatisées, ces articles ont su éliminer certains des doutes qui auraient autrement pu planer sur l'admissibilité des documents numériques, mais l'encadrement juridique est tel que le prix payé pour éliminer ces doutes était peut-être trop élevé. Nous verrons en effet que ces articles n'instaurent pas un régime de preuve pour les documents qui est neutre quant au support sur lequel le document s'inscrit. Aux termes de ces articles, l'inscription d'un acte juridique dans un document numérique ne donne pas le même résultat en matière de preuve, que l'inscription du même acte juridique comportant les mêmes caractéristiques sur un support papier.13

[48]  Il convient d'avoir à l'esprit un exemple concret qui peut nous aider en facilitant l'analyse juridique.  Songeons à un collectionneur professionnel, propriétaire d'une importante galerie d'art, qui dispose, comme il se doit, d'une importante collection privée d'oeuvres d'art.  Il fait une offre par courriel de vendre plusieurs peintures de sa collection et le courriel contient un inventaire des peintures et le prix recherché pour chacune.  À la fin du message il dactylographie son nom en le précédant de la lettre "s" entre parenthèses comme ceci:  (s).  Une fois son offre acceptée pour une des peintures, il change d'idée et ne veut plus s'en départir.  Il est poursuivi par l'acheteur qui invoque le courriel.

[49]  Dans notre exemple, le message est à l'origine un document numérique et n'a pas d'antécédant sur papier. Ceci évite un premier obstacle, car les auteurs ne sont pas unanimes sur la question de savoir si un acte juridique qui est constaté, dans un premier temps sur support papier pour ensuite être repris dans un document numérique, est admissible en preuve sous l'article 2837.14

[50]   Admissibilité

[51]  Afin de pouvoir admettre en preuve l'écrit qui reproduit le message de notre exemple, le plaideur devra faire la preuve que celui-ci présente des garanties suffisamment sérieuses pour que le tribunal puisse s'y fier. Pour apprécier ce caractère de fiabilité du document, le tribunal devra tenir compte des circonstances dans lesquelles le message a été rédigé et le document reproduit. Cette preuve fera de chaque cause un cas d'espèce. Contrairement à l'ancien droit aux termes du Code civil du bas-Canada, dans le cas de notre exemple le plaideur bénéficie, aux termes du Code civil du Québec, de la présomption de l'article 2838.  Il y a donc une présomption d'admissibilité en faveur de notre message. Ce sera donc à celui qui s'oppose à sa production de faire la preuve que le système informatique qui a servi à la rédaction et à la transmission du message comporte des lacunes qui compromettent la fiabilité du message.

[52]  En ce qui concerne les critères de fiabilité, la jurisprudence n'a pas encore élaboré un cadre juridique précis.  Compte tenu de la rapidité de l'obsolescence dans l'industrie de l'informatique, chaque cas qui se présentera sera nécessairement un cas d'espèce.15

[53]   Valeur probante

[54]  Rappelons-nous que le message de notre exemple semble comporter une formule de signature puisque l'auteur a précédé son nom de la mention "(s)". L'ancien Code civil n'excluait pas nécessairement la possibilité qu'un tribunal puisse conclure que cette inscription constitue une signature valable au sens de la loi, l'ancien Code civil étant silencieux sur la question. Le législateur, étant conscient des défis posés par les documents numériques, a adopté une nouvelle disposition sur la signature que le législateur voit comme étant plus souple:16

[55]  "2827 C.c.Q.   La signature consiste dans l'apposition qu'une personne fait sur un acte de son nom ou d'une marque qui lui est personnelle et qu'elle utilise de façon courante, pour manifester son consentement."
[56]  Encore ici nous constatons que les auteurs sont partagés sur l'effet de cette innovation législative. Certains auteurs se rangent du côté du ministre de la Justice pour voir dans cet article un assouplissement du régime de la signature anciennement en vigueur qui favorise les signatures sur les documents numériques.17  Jean-Claude Royer par contre trouve que cet article vient restreindre une souplesse qui existait déjà dans la loi:
[57]  "L'O.R.C.C. a proposé une définition large mais imprécise de la signature, Celle-ci est définie par l'Office comme l'apposition par une personne de son nom ou de toute marque par laquelle elle manifeste son consentement. Le législateur québécois n'a pas suivi cette recommandation de l'O.R.C.C. L'Article 2827 du Code civil du Québec définit la signature comme suit:

[58]  [...]

[59]  Le législateur québécois a préféré donner une définition plus restrictive de la signature. Il est douteux que la signature au moyen d'une simple croix soit encore admise. Une croix n'est pas une marque personnelle distinctive, même lorsqu'elle est utilisée de façon courante."18

[60]  Résoudre ce débat semble toutefois quelque peu inutile, car l'intérêt de la signature sous le Code civil du Québec est seulement de rehausser la valeur probante du document sur lequel elle est apposée. Tandis que sous l'ancien code la signature de l'écrit détermine son admissibilité dans l'exemple qui nous occupe,19  le Code civil du Québec ne fait qu'établir en faveur de l'écrit signé une meilleure valeur probante. Il en résulte que l'écrit signé est tenu pour reconnu à l'encontre de la personne qui paraît l'avoir signé20 et que l'acte juridique constaté dans cet écrit fait preuve de son contenu.21  Dans la mesure où le document reproduisant le document numérique est tenu pour admissible, il est réputé faire preuve de son contenu, qu'il soit ou non signé.22  Le seul intérêt pour la signature apposée sur le document numérique est dès lors de tenir le document numérique comme reconnu contre son auteur.23

[61]  Mais même cela semble être une hypothèse que l'on doive peut-être écarter. Car les auteurs, quoique encore une fois loin d'être unanimes sur le sujet,24 semblent de l'avis que le document numérique n'étant pas lui-même un écrit, il ne saurait constituer un acte sous seing privé au sens du Code civil (encore une fois, nous lisons Jean-Claude Royer):

[62]  "415 - Preuve contraire - Comme les autres écrits prévus aux articles 2831 à 2834 du Code civil du Québec, le document reproduisant les données d'un acte juridique sur support informatique peut être contredit par tous les moyens. Cette règle s'applique, même si l'inscription informatisée a été effectuée au moyen d'une carte magnétique permettant d'identifier son auteur. Il est vrai que la signature électronique peut être comprise dans la définition de la signature énoncée à l'article 2827 C.c.Q. Cependant, le document n'est pas un acte sous seing privé, il est exclusivement réglementé par les articles 2837 à 2839 du Code civil du Québec."25
[63]  En effet, l'article 2839 C.c.Q. vient établir, dans le cas du document numérique, une règle qui, à toutes fins pratiques, relègue le document numérique au dernier rang de la preuve comme document ayant la plus faible valeur possible, car le document reproduisant l'inscription informatisée peut se contredire par tous les moyens.26

[64]  Ceci écarte donc le principe élémentaire en fait de preuve écrite à l'effet que la preuve testimoniale n'est pas admissible pour contredire les termes de l'écrit.27  L'auteur peut donc en principe témoigner que le message envoyé n'était qu'une plaisanterie et que son intention n'était pas de faire une offre qui le lierait. Cette preuve serait probablement inadmissible aux termes de l'Article 2863 C.c.Q. à l'égard d'une offre de contracter rédigée sous forme d'une lettre avec signature manuscrite et envoyée par la poste.28

[65]  Il en ressort que le régime de preuve du document numérique, en ce qui a trait aux actes juridiques aux termes du Code civil du Québec, est fort probablement moins propice à la dématérialisation des transactions que ne l'était le Code civil du Bas-Canada.

[66]  Les faits matériels
 
[67]  Le Code civil du Québec, tout comme son prédécesseur le Code civil du Bas-Canada, ne contient pas de dispositions précises sur la preuve de faits matériels par la voie de documents numériques. Le fait matériel demeure prouvable par tous les moyens.29  La situation présente est donc demeurée essentiellement inchangée par rapport à celle qui régnait aux termes de l'ancien Code civil, si ce n'est que par rapport à la mise-à-jour des règles sur l'admissibilité des dossiers d'entreprise et de la règle de la meilleure preuve.

[68]   Admissibilité

[69]  Repensons à notre exemple.  Notre collectionneur a pour voisin un riche informaticien sans scrupules qui a pris sa retraite à l'âge de vingt cinq ans après avoir fait une fortune sur Internet.  Il est abonné à Internet auprès du même prestataire de service que notre collectionneur.  Voulant monter sa propre collection mais n'y connaissant rien, il a su pénétrer dans le serveur de courriel de son prestataire de services où il filtre tout le courriel de son voisin pour repérer les messages qui contiennent le mot "peinture".  Il a ainsi suivi tous les achats de son voisin et a assemblé une collection d'oeuvres des mêmes peintres et des mêmes sujets que celle de son voisin.  Ayant été cambriolé, il poursuit maintenant son assureur et doit faire la preuve de la valeur de certaines peintures volées.  Il entend produire en preuve de nombreux courriels de son voisin et l'information que ces messages contiennent sur sa collection, constituant à toutes fins pratiques un inventaire détaillé comprenant les prix d'achat et de vente.  Entre temps, le voisin est parti seul pour un long voyage d'aventure à bord de son voilier et est, à toutes fins pratiques, introuvable.

[70]  Dans cet exemple l'auteur est introuvable et tout ce qui est disponible est son courriel contenant l'information sur la valeur de la collection. Pour admettre le courriel en preuve le plaideur se heurte en premier lieu à la règle sur le ouï-dire. La règle et ses exceptions sont consignées dans le Code civil.30

[71]  C'est l'article 2870 C.c.Q. qui codifie l'exception qui rend admissible les écrits pour prouver les faits matériels:
 

[72]  "2870 C.c.Q.  La déclaration faite par une personne qui ne comparaît pas comme témoin, sur des faits au sujet desquels elle aurait pu légalement déposer, peut être admise à titre de témoignage, pourvu que, sur demande et après qu'avis en ait été donné à la partie adverse, le tribunal l'autorise.

[73]  Celui-ci doit cependant s'assurer qu'il est impossible d'obtenir la comparution du déclarant comme témoin, ou déraisonnable de l'exiger, et que les circonstances entourant la déclaration donnent à celle-ci des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s'y fier.

[74]  Sont présumés présenter ces garanties, notamment, les documents établis dans le cours des activités d'une entreprise et les documents insérés dans un registre dont la tenue est exigée par la loi, de même que les déclarations spontanées et contemporaines de la survenance des faits."

[75]  Encore une fois nous revenons à ce critère de "garanties suffisamment sérieuses" que nous avons déjà vu. Dans le cas de notre exemple, dans la mesure où notre collectionneur avait pour mission dans le cadre de sa profession et du commerce de sa galerie de conserver l'information sur les prix de ses peintures, le courriel pourrait bénéficier d'une présomption d'admissibilité aux termes de l'article 2870 C.c.Q.

[76]  Il est intéressant de noter que les auteurs ne s'attardent pas outre mesure sur la question de savoir si le document numérique est un "écrit" au sens de l'article 2832 C.c.Q. ou un "document" au sens de l'article 2870 C.c.Q. Jean-Claude Royer écrit:

[77]  "Une inscription informatisée rapportant des faits matériels sera recevable en preuve dans les circonstances où une déclaration extra-judiciaire écrite est admissible."31
[78]  Il s'agit cependant d'une affirmation qui n'est pas fondée sur une argumentation particulière et cet auteur n'invoque rien de particulier pour soutenir cette thèse. C'est ici que nous nous heurtons très naturellement, encore une fois, à la règle de la meilleure preuve. Mes Trudel, Lefebvre et Parisien prennent pour leur part une approche plus analytique et abordent la question de la nature du document numérique sous l'angle de la règle de la meilleure preuve:
[79]  "Le second obstacle à l'admissibilité en preuve d'un document informatisé pour prouver un fait matériel est la règle de la meilleure preuve. En vertu de cette règle, une preuve doit, par sa nature, constituer la meilleure preuve susceptible d'être offerte. La règle de la meilleure preuve suppose généralement dans le cas des écrits que ceux-ci soient présentés dans leur version originale. Dans le contexte de l'EDI, le problème que soulève cette règle provient du fait qu'il est possible de soutenir que l'original en question est représenté par les données contenues dans l'ordinateur sous forme magnétique ou électronique, c'est-à-dire dans un langage incompréhensible pour le commun des mortels. Le listage ou l'imprimé sur support-papier ne constituerait qu'une transcription ou une copie normalement irrecevable en preuve."32
[80]  L'argument en faveur du document numérique en tant qu'écrit de son propre chef, n'est pas abordé. L'argument alternatif employé par ces auteurs pour contourner la difficulté est de passer par l'article 2860 C.c.Q. qui permet la preuve par tous les moyens lorsqu'il est impossible de produire l'original. Leur conclusion est à l'effet que l'imprimé, malgré que ce soit une copie, soit la meilleure preuve dont le cas est susceptible. C'est donc une façon de satisfaire à la règle de la meilleure preuve sans aborder directement la nature du document numérique lui-même. C'est essentiellement la même approche que celle adoptée en France sous le Code civil français, approche qui d'ailleurs fait l'objet de critiques.33

[81]  Mais même si le plaideur désirait faire un argument à l'effet que le document numérique est en fait un "écrit" au sens de la loi, argument qui selon nous aurait été recevable sous l'empire de l'ancien Code civil,34  est-ce que l'adoption des articles 2837 C.c.Q. et suivants laisse ouverte cette avenue? Nous devrons attendre que nos tribunaux se prononcent sur la question. Toutefois, il semble que l'article 61 de la Loi d'interprétation demeure suffisamment large pour permettre de voir le document numérique comme un écrit au sens de la loi, au moins pour les fins des articles 2832 et 2870 C.c.Q. et la preuve du fait matériel qui serait constatée dans un document numérique.

[82]   Valeur probante

[83]  Le document numérique, s'il est admissible aux termes de l'article 2870 C.c.Q., aura la même force qu'un aveu extra-judiciaire si invoqué à l'encontre de son auteur ou, comme dans le cas de notre exemple, lorsque invoqué à l'encontre d'un tiers, aura la même force probante qu'un témoignage au même effet.35  Nous savons que la force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du tribunal.36

[84]   Les documents numériques et les dispositions statutaires particulières

[85]  Nous avons vu que le législateur québécois n'est pas disposé à reposer énormément de confiance dans les documents numériques lorsque ces documents sont générés par les justiciables.37  Il en est autrement lorsque c'est le gouvernment lui-même qui exploite le système informatique. Nous voyons alors un régime tout à fait différent pour le document numérique, qui se voit accorder une admissibilité, et une force probante qui se rapprochent beaucoup plus de l'écrit sur support papier:

[86]  "Article 83.19

[87]  Preuve du contenu.

[88]  Une transcription écrite et intelligible des données que la Société a emmagasinées  par ordinateur ou sur tout autre support magnétique constitue un document de la  Société et fait preuve de son contenu lorsqu'elle est certifiée conforme par un fonctionnaire autorisé conformément à l'article 15 de la Loi sur la Société de  l'assurance automobile du Québec (chapitre S-11.011)."38

[89]  Des dispositions semblables ou similaires se retrouvent dans plusieurs lois en vigueur au Québec.39

[90]  Il y a lieu de s'interroger sur la justification de la divergence importante dans le traitement juridique entre le document numérique entre les mains du gouvernement et le document numérique entre les mains du justiciable. Ils se servent quand même des mêmes outils informatiques, quoique le secteur privé a tendance à suivre de plus près l'évolution de la technologie. Ne serait-ce pas là un facteur qui inciterait le législateur à offrir au justiciable un traitement au moins égal à celui qu'il se réserve pour lui-même?

[91]  Un pas dans la bonne direction?

[92]  Le gouvernement du Québec a déposé au cours de l'été 2000 un avant-projet de loi intitulé Loi sur la normalisation juridique des nouvelles technologies de l'information.  Cette loi, dans la mesure où elle serait adoptée tel que déposée, remplacerait intégralement les articles 2837 à 2839 C.c.Q dans le but d'assurer "l'équivalence fonctionnelle des documents et la reconnaissance de leur valeur juridique, quels qu'en soient les supports."

[93]  L'avant-projet vise l'implantation au Québec d'une importante infrastructure informatique et technologique comprenant un réseau de répertoires et de moyens de certification de clés de chiffrement publiques.  Une telle législation pourrait, si elle était adoptée, redresser le déséquilibre juridique qui existe présentement entre les supports traditionnels et les supports numériques.  Malheureusement, il appert que l'envergure du projet et l'architecture ambitieuse de la solution qu'il envisage ont à date suscitées une opposition de la part du Barreau du Québec qui présage un long débat intéressant qui saura sans doute le potentiel d'en retarder le dénouement.40

[94]  Le courriel de notre exemple est donc en principe admissible en preuve.  Mais quel rôle la loi réserve-t-elle pour l'auteur dans le régime de la preuve?
 
[95]  Le droit de l'auteur de s'objecter à la mise en preuve de son courriel

[96]  Avant de nous aventurer plus profondément dans ce deuxième aspect important du sujet, celle de l'incidence juridique sur la vie privée, nous ferions bien de rappeler le titre:

 
[97]  La preuve et l'utilisation du courriel à l'insu de son auteur…

[98]  A vrai dire, l'ignorance de l'auteur ne s'avère pas le meilleur critère pour permettre une bonne exploration de notre sujet, mais ce critère nous a certainement mis sur la bonne piste.  La connaissance ou l'ignorance ne signalent que la présence ou l'absence d'information dans notre esprit.  Ce qui est vraiment déterminant sur le plan juridique n'est pas principalement l'information présente à notre esprit, mais plus particulièrement le traitement que nous lui faisons subir en exerçant notre volonté.

[99]  L'ignorance ne fait qu'empêcher l'exercice de la volonté.  Ce que nous voulons, c'est-à-dire l'élément intentionnel, est l'essence même de l'être humain, et donc une des pierres angulaires de notre droit.

[100]  Changeons en conséquence très légèrement le cap de notre exploration, en allant du nord magnétique vers le nord géographique, et dirigeons-nous maintenant en amont de la connaissance de l'auteur d'un courriel pour cibler l'incidence de sa volonté.  Ainsi corrigé, notre titre devient:

 
[101]  La preuve et l'utilisation du courriel sans le consentement de son auteur…

[102]  La vie privée et la Charte des droits et libertés de la personne

[103]  Souvenons-nous des qualités de persistance et d'interactivité de l'information numérique, et particulièrement du courriel.  Dans la mesure où nos idées ont été exprimées par courriel, il y a de fortes chances qu'elles puissent être repérées, et si elles ont acquis une valeur stratégique, pourront être soumis en preuve.  Avons-nous un droit à faire valoir pour empêcher cette admission?

[104]  Encore une fois, poursuivons notre exemple.  Notre brave collectionneur arrive à Montevideo et, faisant une première randonnée dans cette ville, trouve un libraire qui offre Le Journal de Montréal.  Souffrant un peu du mal de pays, notre collectionneur achète le journal et est enragé de lire que son voisin détestable poursuit son assureur et entend, dans les prochains jours, mettre en preuve toute l'information qu'il détient sur sa collection.

[105]  Le courriel de notre collectionneur, au même titre que toute autre correspondance, est, en principe, protégée contre une utilisation par les tiers qui violerait le respect de sa vie privée.

[106]  Le droit au respect de la vie privée a reçu pour la première fois au Québec une expression législative lorsque la Charte des droits et libertés de la personne41  est entrée en vigueur le 28 juin 1976.  C'est l'article 5 de la Charte qui consacre le droit au respect de la vie privée:

[107]  "5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée."42
[108]  Il est important de remarquer que la Charte québécoise ne comporte aucune disposition équivalente à l'article 24 de la Charte canadienne permettant au tribunal de refuser l'admission d'un moyen de preuve obtenu en violation d'un droit fondamental, comme à titre d'exemple, le droit au respect de la vie privée:
[109]  "24.(1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances,

[110]  (2) lorsque dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve on été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice."

[111]  Si la loi doit avoir une toute première préoccupation stratégique, c'est certainement la recherche de la vérité. Cette préoccupation stratégique sous-tend l'ensemble de notre loi sur la preuve et remonte très loin dans les sources de notre droit.43

[112]  Nous avons déjà observé que l'intérêt que suscite le droit au respect de la vie privée croît de pair avec la croissance de la technologie.44   Cette conjoncture est reflétée par le peu de jurisprudence traitant de la question avant les années 199045 et le nombre très supérieur d'arrêts sur la question depuis, que nous verrons ci-dessous.

[113]  Il n'est pas surprenant d'apprendre, lorsque nous examinons les décisions de nos tribunaux, que la jurisprudence penche fortement en faveur de l'admissibilité de la preuve, et ce même au dépens du droit du justiciable de faire respecter sa vie privée.

[114]  Malgré que nous sommes maintenant témoins d'un développement dans ce domaine qui semble bien amorcé,  il existe présentement très peu de jurisprudence qui touche directement les défis posés par l'informatisation de notre société et la numérisation de l'information.

[115]  En effet, il semble que la seule cause qui traite de façon directe la question de l'admissibilité de courriel en preuve lorsque la protection de la vie privée de l'auteur est en jeu, soit une instance criminelle, donc pas nécessairement pertinente pour nos fins.  Il s'agit du jugement de la Cour du Québec dans la cause de R. c. Gauthier.46  Dans cette cause l'ordinateur de l'accusé avait fait l'objet d'une perquisition dans une affaire de contrefaçon de logiciels.  Dans le cours de l'examen de l'information numérique sur le disque fixe de l'ordinateur, l'enquêteur a trouvé parmi le courriel de l'accusé des messages contenant de la pornographie juvénile.  Une accusation a été déposée à cet égard, et l'accusé s'est objecté à l'admissibilité de la preuve au motif qu'elle avait été obtenue en violation de son droit fondamental au respect de sa vie privée.  Le juge Pierre Brassard, en statuant sur l'objection, s'est exprimé de la façon suivante en accueillant la requête en exclusion de la preuve:

[116]  "Ici, non seulement la fouille par le gendarme Gagnon était-elle illégale, parce que non autorisée mais elle était aussi abusive parce qu'il n'avait pas besoin de tout ouvrir les fichiers "JPEG" qui avaient trait aux images: il s'est livré, de fait, à une expédition de pêche.

[117]  De plus, la lecture des courriels ou "E-mail" était un accroc flagrant et délibéré au droit qu'avait Stéphane Gauthier à une expectative raisonnable de vie privée.

[118]  Enfin, son droit garantie par l'article 2b) [de la Charte canadienne des droits et libertés] a été violé à cause de la nature même des objets que le gendarme Gagnon a recherchés sans autorisation et sans droit."47

[119]  Afin de bien comprendre les principes de droit en jeu et devant l'absence de jurisprudence traitant directement de l'information numérique, nous devons procéder par analogie en étudiant les arrêts qui traitent des autres moyens de communication.  Ces arrêts traitent généralement de l'admissibilité de conversations téléphoniques enregistrées à l'insu d'une des parties ou de la prise de vidéos lors de filatures aux fins de surveillance.

[120]  Ce que nous constatons en étudiant cette jurisprudence est une importante évolution dans l'approche de nos tribunaux lorsqu'ils se trouvent devant une situation où ils doivent arbitrer entre le droit du justiciable de faire valoir ses éléments de preuve et le droit de la personne au respect de sa vie privée.  Cette évolution s'accentue depuis quelques années à peine.

[121]   La jurisprudence avant l'entrée en vigueur du Code civil du Québec

[122]  Si nous remontons à la période qui a précédé l'entrée en vigueur du Code civil du Québec, nous voyons que nos tribunaux penchaient énormément vers l'admissibilité de la preuve au dépens de la protection de la vie privée.

[123]  La première cause qui traite de la vie privée dans le contexte de l'admissibilité de la preuve48 est l'arrêt de la Cour du Québec (alors la Cour provinciale) dans Erez Sewing Machine Co. c. Vêtement Super Vogue Inc.49 Dans cette affaire il s'agissait d'une conversation téléphonique enregistrée par un des interlocuteurs à l'insu de l'autre que l'on voulait produire en preuve.  Le tribunal, sous la plume du Juge Verdy, a considéré l'impact sur sa décision que devait avoir la Charte des droits et libertés de la personne en ces termes:

[124]  "Notre droit civil ne parle évidemment pas d'une technique aussi moderne et on ne peut dire qu'il permet ou qu'il défend une telle preuve.  Par contre, au Québec, en vertu du pouvoir de légiférer en droit civil que lui accorde la constitution canadienne, la législature a adopté la Charte des droits et libertés de la personne qui  édicte en son article 5 [citation omise].  Est-ce là une disposition suffisante pour déclarer illégal l'enregistrement d'une conversation privée? On doit conclure que non.  Il y a peut-être atteinte à la vie privée, une indiscrétion de faire entendre un tel enregistrement à un procès, mais dans l'état actuel de notre droit, il ne semble pas qu'il soit illégal pour un des interlocuteurs d'enregistrer sans permission sa propre conversation avec un autre."50
[125]  La réticence évidente du juge Verdy dans l'arrêt Erez n'a pas généré d'échos dans les arrêts qui l'ont suivi.  Ainsi, un arrêt où la question en litige était essentiellement la même, la décision de la Cour Supérieure dans la cause Renzo c. Prudential-Bache Securities Canada Ltd.,51 révèle que le souci de la vie privée semble s'atténuer:
[126]  "… le Tribunal doit aussi se soucier, et ce, de façon absolument primordiale, de la recherche de la vérité.  Comment alors refuser ce moyen de preuve qui permettra peut-être de faire la démonstration éclatante que ce que dit un témoin de ses propos antérieurs n'est pas vrai?"52
[127]  Il n'est donc pas étonnant de voir que l'arrêt de la Cour d'appel dans Cadieux c. Service de gaz naturel Laval Inc.53 qui traite également de l'admissibilité en preuve de l'enregistrement d'une conversation téléphonique réalisé à l'insu de la partie qui s'objecte à son admission, énumère les principaux critères d'admissibilité tout en affirmant que ce genre de preuve "n'est pas en soi une violation de la vie privée":
[128]  "… j'aborderai maintenant la prétention de l'intimée qui veut que l'interception clandestine d'un entretien avec le consentement de l'auteur ou de la personne à laquelle il la destine viole la protection de la vie privée garantie par l'article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne.  Même si les tribunaux ont manifesté un certain malaise à reconnaître l'usage de ce procédé, ils ont généralement fait passer leur souci de la recherche de la vérité devant leur réticence."54
[129]  L'arrêt Cadieux déclare assez bien l'état du droit sur la question de la frontière entre le droit de présenter la preuve et le respect de la vie privée au début des années 1990. A cette époque, il est assez clair que l'adoption de la Charte des droits et libertés de la personne n'avait pas influencé de façon importante la loi de la preuve.

[130]  Dans l'arrêt Roy c. Saulnier55  la Cour d'appel indique clairement qu'elle n'entend pas donner une interprétation suffisamment libérale aux dispositions de l'article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne qui donne au tribunal le moyen de faire cesser les atteintes à la vie privée, pour permettre d'exclure un moyen de preuve obtenu en violation du droit au respect de la vie privée.  Dans cette cause il s'agissait d'une écoute électronique de conversations entre un employé et les clients de l'employeur pratiqué par l'employeur à l'insu des interlocuteurs. La Cour refuse de suivre l'exemple de la cause Shacter c. Birks56 dans laquelle la Cour supérieure avait refusé d'admettre en preuve le témoignage d'une personne qui avait entendu une conversation entre deux interlocuteurs en se fondant sur les dispositions du Code criminel sur l'écoute électronique.

[131]  Léo Ducharme a exprimé l'opinion suivante, questionnant en quelque sorte le jugement de la Cour d'appel dans l'arrêt Roy:

[132]  "759.  Même si, dans un arrêt récent, la Cour d'appel a refusé de se laisser convaincre par cet argument,57 nous le trouvons, pour notre part, fort persuasif.  La valeur de cet argument apparaît lorsqu'on s'interroge sur le sort d'un élément de preuve qui aurait été obtenu à la suite d'une fouille faite en violation de l'article 24.1 de la Charte québécoise selon lequel "nul ne peut faire l'objet de saisies, perquisitions ou fouilles abusives."  Est-il concevable que la seule protection offerte par la Charte en vertu de cet article, serait de permettre à une personne d'obtenir une injonction avant que la saisie, la perquisition ou la fouille n'ait lieu, et que si la violation n'a pas pu être anticipée, comme ce sera presque toujours le cas, le seul recours de la victime sera une réclamation en dommages-intérêts? Vu que la violation de la Charte dans une telle hypothèse, vise exclusivement l'obtention d'un élément de preuve, permettre l'utilisation de cet élément de preuve, n'est-ce pas permettre que la violation soit prolongée jusqu'à son terme? Empêcher la divulgation en justice des éléments de preuve illégalement obtenus, n'est-ce pas faire cesser la violation en la privant des avantages que son auteur espérait en retirer?"
[133]  Rendu à ce point du développement de notre notion de protection de la vie privée, il est intéressant de voir comment nos tribunaux n'hésitent pas à faire primer la liberté des moyens de preuve qui serait exprimé dans l'article 2358 de la Charte des droits et libertés de la personne,59 sur le droit à la protection de la vie privée exprimé dans l'article 5 de cette même Charte, en dépit du fait que le texte de l'article 5 consacre en termes beaucoup plus précis et limpides le droit au respect de la vie privé, que le texte de l'article 23 qui ne mentionne même pas directement la liberté des moyens de preuve.
 
[134]  Léo Ducharme, écrivant en 1993, dans la quatrième édition de son livre sur la preuve, résume l'état du droit de la façon suivante:
[135]  "La jurisprudence considère que la Charte québécoise n'a pas modifié la règle traditionnelle selon laquelle tout élément de preuve qui est pertinent demeure recevable en preuve et ce, sans égard aux moyens par lesquels il a été obtenu."60

[136]  […]

[137]  "Sur cette question des enregistrements clandestins, la jurisprudence se montre présentement particulièrement tolérante, considérant qu'il n'y a pas violation du droit à la vie privée lorsque c'est l'un des interlocuteurs qui y procède"61

[138]  En réalité, les tribunaux se sont montrés enclins à admettre de telles preuves même lorsque l'enregistrement a été fait à l'insu des deux interlocuteurs.62

[139]   L'impact du Code civil du Québec

[140]  L'entrée en vigueur du Code civil du Québec le premier janvier 1994 est venue augmenter sensiblement le poids de la législation qui appuie le principe du respect de la vie privée.  Citons particulièrement les articles suivants:

[141]  35.   Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée. Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci ou ses héritiers y consentent ou sans que la loi l'autorise.

[142]  36.  Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d'une personne les actes suivants:
   1° Pénétrer chez elle ou y prendre quoi que ce soit;
   2° Intercepter ou utiliser volontairement une communication privée;
   3° Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu'elle se trouve dans des lieux privés;
   4° Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit;
   5° Utiliser son nom, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute autre fin que l'information légitime du public;
   6° Utiliser sa correspondance, ses manuscrits ou ses autres documents personnels.

[143]  2858. Le tribunal doit, même d'office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l'utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

[144]  Il n'est pas tenu compte de ce dernier critère lorsqu'il s'agit d'une violation du droit au respect du secret professionnel.

[145]  Ces nouveaux articles, et plus particulièrement l'article 2858 C.c.Q., imposent naturellement une réflexion beaucoup plus profonde sur l'incidence de la vie privée en regard de l'administration des procédés de preuve. Il en est ainsi puisque, pour la première fois, le tribunal se voit accorder une discrétion en matières civiles de refuser l'admission d'une preuve dans des circonstances qui portent atteinte au droit au respect de la vie privée tout en déconsidérant l'administration de la justice.

[146]  Peu avant l'entrée en vigueur du Code civil du Québec, et en dépit de sa critique de l'arrêt Roy, Léo Ducharme émet une opinion assez réservée sur le pouvoir dont disposera le tribunal aux termes de l'article 2858 C.c.Q. avec l'entrée en vigueur du Code civil du Québec:

[147]  "Notamment, à notre avis, c'est seulement dans des cas exceptionnels qu'un tribunal devrait exclure un élément de preuve obtenu par des moyens portant atteinte aux droits et libertés fondamentaux lorsque ce n'est pas la violation même de ces droits et libertés qui aura permis de constituer cet élément de preuve.  Lorsque l'atteinte aux droits et libertés aura seulement permis à une partie d'obtenir la possession d'un élément de preuve qui existait déjà, de prendre possession d'un écrit par exemple, le tribunal devrait hésiter avant d'user du pouvoir que lui reconnaît l'article 2858 C.c.Q. pour déclarer cet élément de preuve irrecevable.  Comme dans ce cas, il s'agit d'un élément de preuve pertinent dont la production aurait pu être exigée par la partie fautive, sans que celui qui en avait la possession ait été en mesure de s'y opposer, il nous semble que cette partie ne devrait pas être privée de son droit de se prévaloir de cet élément de preuve pour l'unique raison qu'il l'a obtenu dans des conditions qui ont porté atteinte aux droits fondamentaux de la partie adverse.  L'exclusion de cet élément de ce chef équivaudrait à sanctionner l'infraction commise par une injustice.  C'est pourquoi nous ne pouvons partager le point de vue du professeur Patenaude selon lequel, en matières civiles, c'est seulement dans des cas exceptionnels qu'un tribunal ne devrait pas écarter un élément de preuve obtenu par des moyens qui portent atteinte à un droit fondamental."63
[148]  L'honneur de statuer sur les nouvelles dispositions est venu au juge Gilles Mercure de la Cour supérieure qui a dû se prononcer, dans la cause de Wilson c. Bano,64  sur l'admissibilité d'un enregistrement clandestin à laquelle le défendeur s'objectait aux termes de l'article 2858 C.c.Q. précité.  Le tribunal rappelle la jurisprudence sous l'empire de l'ancienne loi, remarquant que le principe de la prééminence du droit du justiciable de faire sa preuve demeure en vigueur:
[149]  "De l'avis du tribunal, l'entrée en vigueur du Code civil du Québec n'a pas eu pour effet de reléguer aux oubliettes les principes émis par nos tribunaux à l'effet que l'enregistrement d'une conversation téléphonique par l'un des interlocuteurs ne constitue pas nécessairement une introduction illégale dans la vie privée de l'autre."65
[150]  L'avènement des nouveaux articles, et surtout l'article 2858 C.c.Q., exige cependant et désormais une étude plus approfondie de la question de ce qui est susceptible de constituer une communication privée.  Dans l'arrêt Wilson, le juge Mercure s'exprime de la façon suivante:
[151]  "Il ne fait pas de doute que l'on ne pourrait, vu les articles 35 et 36 C.c.Q., aller installer clandestinement des caméras ou des microphones dans la résidence de son voisin, à son insu, sans violer son droit à la vie privée.  L'on ne saurait davantage installer clandestinement un appareil pour épier et enregistrer toutes ses conversations téléphoniques.  Les enregistrements, photographies ou bandes vidéo ainsi obtenus seraient, en vertu de l'article 2858, des éléments de preuve obtenus dans des conditions violant les droits et libertés fondamentaux de cette personne."66
[152]  Il devient donc maintenant important pour le tribunal de cerner avec plus de précision les caractéristiques essentielles de la vie privée.

[153]  A titre d'exemple, la jurisprudence conclue généralement que lorsque une conversation téléphonique est captée par un des interlocuteurs, la vie privée n'entre pas en jeux.67  Les tribunaux se sont déjà montrés enclins à admettre de telles preuves même lorsque l'enregistrement est fait à l'insu des deux interlocuteurs.68

[154]  Dans l'arrêt Protection de la jeunesse - 76369 le juge John Gomery de la Cour Supérieure, siégeant en appel d'une décision de la Cour du Québec, décide qu'une lettre qui n'a pas été mise dans une enveloppe et qui a été laissée dans un endroit bien en vue ne constitue pas une correspondance protégée aux termes de l'article 36 C.c.Q.  En rendant le jugement rejetant l'appel de la décision du juge de première instance, le juge Gomery s'exprime de la façon suivante:

[155]  "… mais même si on accepte la version de la mère intégralement, elle n'a pas pensé que c'était une lettre d'une grande importance pour sa vie privée elle même.

[156]  Parce que si elle voulait absolument garder cette lettre pour elle-même, elle ne l'aurait pas confiée à son mari pour… pour la mettre au courrier et, surtout, elle ne l'aurait pas confiée à son mari sans la mettre dans une enveloppe."70

[157]  Le juge Gomery rappelle ensuite le principe de prééminence de la liberté des moyens de preuve en ces termes:
[158]  "Je pense que la nécessité de rechercher la vérité dans ces causes a une importance qui dépasse énormément l'importance du respect de la vie privée."71
[159]  Plus récemment cependant nous voyons apparaître des arrêts où les faits en cause sont de nature à provoquer un réflexe plus viscéral de la part du tribunal en faveur de la protection de la vie privée.

[160]  Dans l'arrêt Godbout c. Longueuil72  la Cour suprême devait statuer sur une résolution adoptée par la Ville de Longueuil qui exigeait des employés municipaux de résider dans le territoire de la ville.  La demanderesse avait changé de résidence et avait été congédiée compte tenu de l'exigence, d'où sa demande de ré-intégration.  Le juge La Forest précise dans le jugement majoritaire que la portée de la protection de la vie privée aux termes de l'article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne n'a pas encore été entièrement délimitée par la jurisprudence.  Il affirme en conséquence qu'en plus de protéger la catégorie limitée d'intérêts liés directement à la personne comme l'image physique et certains types de renseignements confidentiels traditionnellement retenue par la jurisprudence, l'article 5 pourra s'étendre à la protection d'autres aspects de la vie privée.  De cette façon, le juge La Forest déclare que la résolution de la Ville de Longueuil enfreint la vie privée de la demanderesse contrairement à l'article 5 de la Charte.  L'approche à la protection de la vie privée que le juge La Forest adopte dans cette décision de la Cour Suprême est illustrée par le passage suivant par lequel il débute son jugement:

[161]  "A notre époque, la faculté de prendre des décisions sans intervention extérieure malvenue se heurte de plus en plus à des contraintes.  Que cette situation découle de la modification de l'organisation sociale, du progrès technologique, de l'action gouvernementale, ou d'une autre cause, elle a principalement comme effet de restreindre le champ des libertés individuelles.  Bien que les exigences de la vie en société s'opposent, bien sûr, à ce que soit garanti à chacun le droit absolu d'agir comme bon lui semble, la faculté fondamentale des individus de faire des choix essentiellement privés sans subir de restrictions inopportunes commande la protection de la loi, de manière que seules des considérations importantes puissent faire obstacle à son exercice."73
[162]  Dans l'arrêt Aubry c. Éditions Vice-Versa Inc.,74  également un arrêt de la Cour suprême, une photo de la demanderesse prise dans un lieu public avait été publiée sans son consentement.  Dans cette affaire le droit au respect de la vie privée s'affrontait au droit à la liberté d'expression invoqué par la société défenderesse.  Les juges L'Heureux-Dubé et Bastarache, prononçant le jugement majoritaire, ont rejeté le pourvoi, maintenant ainsi le jugement de première instance accueillant l'action de la demanderesse. Ce jugement renforce davantage la direction bien amorcée par la Cour suprême ayant pour but de donner à l'article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne une interprétation désormais plus libérale que par le passé.

[163]  Il devient clair que la Cour suprême voit les attributs de la vie privée comme une sphère rattachée à la personne et qui, contrairement à l'ancienne conception, ne sont rattachés ni aux biens ni à un contexte physique ou géographique, ni à la notion de renseignements intimes à caractère confidentiel.  Ni les proportions de cette sphère ni son contenu ne font l'objet d'une description explicite.  La Cour Suprême déclare de façon non équivoque que la jurisprudence en la matière demeure en évolution.
 
[164]  Cette libéralisation croissante de la conception juridique du droit à la vie privée depuis le début des années 1990 est mise en relief et soulignée par la dissidence du juge McLachlin de la Cour suprême en 1993 dans la cause de R. c. Plant.75   Il s'agissait dans cette affaire d'une accusation de culture de chanvre indien dans une résidence par des moyens hydroponiques.  Il s'agit de la première cause mettant en présence la preuve d'informations numériques et le droit au respect de la vie privée.   L'enquêteur a eu recours aux données informatisées recueillis auprès du prestataire de service électrique sans auparavant avoir obtenu un mandat de perquisition.  Le juge Sopinka, prononçant le jugement majoritaire de la Cour suprême, est venu à la conclusion que l'accusé n'avait pas d'attente raisonnable au respect de sa vie privée en ce qui concernait l'information en question:

[165]  "Etant donné les valeurs sous-jacentes de dignité, d'intégrité et d'autonomie qu'il consacre, il est normal que l'art. 8 de la Charte [canadienne] protège un ensemble de renseignements biographiques d'ordre personnel que les particuliers pourraient, dans une société libre et démocratique, vouloir constituer et soustraire à la connaissance de l'État.  Il pourrait notamment s'agir de renseignements tendant à révéler des détails intimes sur le mode de vie et les choix personnels de l'individu.  Or, on ne saurait raisonnablement prétendre que les dossiers informatisés consultés dans la présente affaire, lesquels font état du niveau de consommation d'électricité dans une résidence, dévoilent des détails intimes de la vie de l'appelant, la consommation d'électricité ne révélant que très peu de chose du mode de vie ou des décisions privées de l'occupant de la résidence."77
[166]  La juge McLachlin a enregistré une dissidence dans cette affaire principalement pour le motif suivant
[167]  "Mon collègue soutient en outre que l'endroit où les renseignements ont été extraits et la méthode d'extraction ne permettent pas de conclure à l'existence d'une attente raisonnable en matière de vie privée puisque, souligne-t-il, la police n'a pas eu à s'introduire dans des "endroits ordinairement considérés comme privés", comme une maison ou une chambre d'hôtel, pour obtenir ces renseignements.  Mais, avec égards encore une fois, mon collègue élude la question.  Les ordinateurs peuvent, et devraient, être des endroits privés, les données qui y sont emmagasinées bénéficiant de la protection juridique qu'entraîne une attente raisonnable quant au respect de la vie privée.  Un ordinateur peut contenir une abondance de renseignements personnels qui, suivant leur nature, peuvent être tout aussi privés que ceux qui se trouvent dans une maison d'habitation ou dans une chambre d'hôtel."78
[167]  La Cour Supérieure s'est vue devant une situation assez extraordinaire dans l'affaire de M. (M.) c. V. (S.).79  Le jugement de la Cour supérieure suit dans le temps les arrêts de la Cour suprême traitant de la libéralisation du droit au respect de la vie privée mais les faits de cette affaire ne mettent en cause que le respect de la vie privée.  Dans cette cause la demanderesse avait été épiée par son co-locataire dans la salle de bain de l'appartement qu'elle partageait avec lui.  Son co-locataire avait dissimulé une caméra dans la salle de bain et il s'en servait pour enregistrer des bandes vidéos dont l'objet principal était la demanderesse.  Il s'agissait évidemment d'une violation du droit à la vie privée de la demanderesse profondément répugnante et qui ne demandait aucune pondération de la part du tribunal, car aucun droit fondamental concurrentiel n'entrait en ligne de compte pour tempérer les agissements du défendeur.  L'intérêt de cette affaire est principalement de souligner, comme l'affirme le juge La Forest dans l'arrêt Godbout, à quel point les développements technologiques, comme en l'occurrence les appareils vidéos miniaturisées, augmentent la probabilité que notre droit au respect de notre vie privée soit, pour utiliser l'expression du professeur Patenaude,80 battu en brèche.

[168]  Dans la cause de Ville de Mascouche c. Houle81 l'intimée avait été congédiée par la Ville de Mascouche qui s'était fondée sur des enregistrements de conversations téléphoniques entre l'intimée et des tiers réalisés par un de ses voisins qui se rendait à proximité de sa maison pour capter les transmissions venant de son appareil de téléphone sans fil.  La grande majorité de téléphones sans fil transmettent les conversations sans recourir à quelque système que ce soit pour rendre la transmission inintelligible.  Il en résulte souvent que la conversation se trouve à être captée de façon imprévue et aléatoire par un téléphone avoisinant, par un moniteur de chambre d'enfant, ou encore, comme dans cette instance, de façon très délibérée, par un appareil récepteur-balayeur d'ondes, du genre généralement disponible dans les magasins d'appareils électroniques.

[169]  Siégeant en révision de la décision de la Commission Municipale de recevoir les enregistrements en preuve, la juge Piché de la Cour Supérieure, après avoir revu la jurisprudence incluant les arrêts Roy et Rouleau que nous avons vu ci-dessus, ainsi que certains arrêts de la Cour suprême traitant du respect de la vie privée, est venue à la conclusion que le droit de Mme Houle au respect de sa vie privée primait le droit de la municipalité de Mascouche de faire valoir la preuve recueillie par l'enregistrement des appels.  Le tribunal est venu à cette conclusion en dépit de la preuve concernant la facilité avec laquelle les conversations  sur téléphones sans-fil pouvaient être captées.

[170]  Devant la Cour d'appel82 la cause a suscité une révision exhaustive de la jurisprudence concernant la pondération à faire entre la liberté des moyens de preuve et le respect de la vie privée.  Le jugement majoritaire de la Cour d'appel a été rendu par le juge Gendreau, le même juge qui a rendu le jugement de la Cour d'appel dans la cause de Cadieux c. Service de gaz naturel Laval inc.83  La Cour d'appel semble dans ce jugement vouloir conserver le principe de la prééminence de la liberté des moyens de preuve aux dépens du droit au respect de la vie privée.  L'argument du juge Gendreau repose sur les distinctions à faire entre les instances criminelles et les instances civiles par rapport aux règles de preuve et de procédure.

[171]  Le juge Gendreau débute son analyse en rappelant le principe de la liberté des moyens de preuve dans les instances civiles qui ne retient traditionnellement comme seul principe que celui de la pertinence au litige.  Son analyse de l'article 2858 C.c.Q. part du principe que le contexte du procès civil met en présence deux parties sur un pied d'égalité contrairement au contexte criminel où l'accusé démuni fait face au poids considérable de l'État.  Il met en relief les différences de la façon suivante:

[172]  "Ainsi qu'on peut le constater, la notion d'équité du procès, telle qu'exprimée par la Cour suprême dans le contexte de l'application de l'article 24 paragraphe 2 de la Charte canadienne, prend une signification particulière et essentiellement pénale.  En effet, en matière civile, la recherche de la vérité reste l'objectif du procès.  Le fardeau de la preuve repose sur les épaules de l'une ou l'autre partie, selon la nature du droit visé et les règles applicables, en particulier celles portant sur les présomptions légales.  La partie peut être contrainte à témoigner contre elle-même et sommée d'apporter avec elle les pièces pertinentes.  Lorsque le litige met en cause l'intégrité physique d'une partie, le tribunal peut l'obliger, à la demande de l'adversaire, à subir des examens pour vérifier les prétentions du demandeur et l'étendue du préjudice allégué.  Des tiers peuvent être forcés de remettre des documents.  Les interrogatoires hors cour, sous serment, constituent un mode régulier et permis d'enquête.  En somme, ce qui est interdit au nom de l'équité du procès en matière pénale est permis et utilisé par les parties du procès civil pour réussir la démonstration des droits dont elles cherchent la reconnaissance par le jugement."84
[173]  Le juge Gendreau se distance donc, dans une certaine mesure, de la jurisprudence de la Cour suprême en matière du droit au respect de la vie privée puisqu'une partie importante de cette jurisprudence a été développée dans le cadre du droit criminel.  Néanmoins, il reconnaît le devoir du tribunal de pondérer entre le droit au respect de la vie privée et tout autre droit fondamental, dont la liberté des moyens de preuve, avec lequel ce droit se trouverait en concurrence.  Il dégage alors certains facteurs de pondération, dont le facteur de la gravité de la violation du droit fondamental, le facteur de la modalité employée (par exemple la commission d'une offense criminelle comme principal moyen de la violation du droit), et l'identité de la personne qui commet la violation, tout en reliant ces facteurs à son étude de la jurisprudence.  Il reconnaît enfin que l'exercice de pondération "fera appel aussi à l'examen de certaines valeurs sociales dont le respect pourra faire décider dans un sens plutôt qu'un autre."85  Appliquant l'ensemble de ces facteurs aux faits de la cause, le juge Gendreau tire la conclusion suivante:
[174]  "En somme, la Ville s'approprie ici le système de justice puisque, soumise au fardeau de la preuve, elle voudrait que le tribunal avalise une preuve acquise illégalement, en contravention la plus grave à la protection de la vie privée, et sans justification.

[175]  Tous les éléments militent en faveur de l'exclusion de la preuve.  L'équilibre est rompu, et j'estime qu'une personne raisonnablement informée, comme celle décrite par le juge Lamer dans l'arrêt Collins, considérerait que ce système de justice civile ne devrait pas être utilisé à des fins comme celles qui semblent présider à l'affaire sous étude."

[176]  L'arrêt Syndicat des travailleuses et travailleurs de Bridgestone/Firestone de Joliette (C.S.N.) c. Trudeau86 traite de la mise en preuve de bandes vidéo réalisées dans le cadre de la filature d'un employé suite à une réclamation par rapport à un accident de travail contestée par l'employeur.  La Cour d'appel prend connaissance des arrêts précités de la Cour suprême ainsi que de l'arrêt rendu le mois précédant par la Cour d'appel dans l'affaire Houle.  Le tribunal, sous la plume du juge Lebel, accepte le principe de l'élargissement de la notion de vie privée adoptée par la Cour suprême et décide, contrairement à l'appréciation de l'arbitre en première instance, que la filature de l'intimé, même à l'extérieur de sa demeure et dans des lieux publics, dérogeait au respect de sa vie privée.

[177]  La Cour confirme par ailleurs le jugement de l'arbitre sur le fond, estimant que l'intrusion dans la vie privée de l'intimé était justifiée par les motifs raisonnables qu'avait l'employeur de croire que la réclamation de l'intimé était fausse.  Le tribunal reconnaît également la notion exprimée par le juge La Forest dans l'arrêt Godbout à l'effet que le contenu du concept de vie privée n'est pas encore définitivement arrêté par la jurisprudence.87  Enfin, le juge Baudouin précise pour sa part, rappelant les propos et le raisonnement du juge Gendreau dans l'arrêt Houle, que les tribunaux doivent demeurer vigilants pour éviter d'appliquer directement dans les causes civiles les principes sur la protection de la vie privée développées dans les instances criminelles:

[178]  "Les critères qui entrent en ligne de compte doivent exclusivement demeurer ceux du droit civil.  Certes, on peut se référer à ceux qui ont été élaborés dans le cadre du procès criminel, mais ils ne peuvent constituer, à mon avis, qu'une source indirecte d'information.  Ils ne sont ni applicables ni transposables tels quels.  Les tribunaux civils doivent être particulièrement prudents à cet égard, puisque les exigences spécifiques du droit criminel quant à l'équité du procès n'ont aucune commune mesure avec celles du procès civil, les enjeux et la philosophie de ces deux ordres juridiques n'étant pas les mêmes."88
[179]  L'arrêt le plus récent sur le sujet semble être le jugement de la Cour supérieure dans la cause Eppelé c. Québec (Commission des lésions professionnelles),89 une autre affaire de filature suite à un accident de travail. Cet arrêt reprend, sans davantage élaborer, le raisonnement de la Cour d'appel dans l'arrêt Houle.

[180]  Que nous réserve l'avenir?

[181]  Les nouvelles technologies posent des défis jadis insoupçonnées en matière de respect de la vie privée.  Nos tribunaux sont en train de définir un droit qui jadis ne retenait guère notre attention, mais qui chaque jour acquiert de plus en plus d'importance.

[182]  Nous avons vu que l'information numérique pose d'importants défis pour le droit, particulièrement en matière de vie privée par les caractéristiques de sa persistance et de son interactivité.  Ces caractéristiques, jumelées à l'indépendance de la forme et à la faible pénétration de logiciels de chiffrement performants, font du courriel un mode de communication qui, dans le contexte actuel, est d'une ouverture qui a été décrite comme une carte postale, et qui ressemble à la lettre sans enveloppe de l'arrêt Protection de la jeunesse - 763 ou au téléphone sans fil de l'arrêt Houle.  Bien que le justiciable soit maintenant en mesure d'utiliser de puissants logiciels de chiffrement pour blinder ses communications de courrier électronique, ces outils sont encore réservés aux utilisateurs très avertis, sinon aux experts en informatique.

[183]  De ce point de vue, il devient très important de définir la notion de vie privée en suivant le trajet amorcé par la Cour suprême.  Le justiciable est en droit de s'attendre à ce que sa vie privée soit protégée par la loi, surtout dans la mesure où l'environnement informatique qui prévaut actuellement nous laisse particulièrement vulnérables à la perte de contrôle de l'information que nous générons quotidiennement.

[184]  Le protocole Internet rend tout ordinateur qui est branché en direct sur Internet visible à tout autre ordinateur qui y est branché.  L'ordinateur de mon voisin devient donc tout aussi accessible pour moi que le mien.  C'est cette ouverture qui a permis au début de 2000 à un adolescent de la métropole de Montréal de s'emparer de nombreux ordinateurs un peu partout dans le monde pour monter la plus importante attaque distribuée de déni de service vue à ce jour.

[185]  La conception classique de la vie privée ne convient absolument pas dans ce monde-là.  La conception judiciaire de la vie privée se doit de correspondre aux attentes raisonnables des justiciables, et de respecter leur volonté et leur liberté. Nos tribunaux doivent donc redoubler de vigilance, et doivent être en mesure de bien apprécier l'impact des nouvelles technologies, afin de pouvoir étoffer convenablement ce droit encore très jeune et d'assurer que les attentes que nous avons développées dans notre environnement traditionnel, continuent d'être respectées tout au long de la marche technologique vers l'avenir.

[186]  Ce serait une erreur, pour ne citer qu'un seul exemple, de venir à la conclusion que puisque le courriel Internet est équivalent en termes d'ouverture à une carte postale que le justiciable qui y a recours est sensé avoir tacitement renoncé à son intimité par le simple fait de l'utilisation qu'il en fait.

[187]  Conclusion

[188]  Ceci nous amène à considérer la position que prend actuellement la Cour d'appel sur la question de la pondération du droit au respect de la vie privée face au principe de la liberté des moyens de preuve.

[189]  L'argument que les différences entre les instances civiles et les instances criminelles doivent peut-être écarter une partie de la vigueur avec laquelle le tribunal siégeant au criminel applique le droit au respect de la vie privée est séduisant.  Mais en matière du respect d'un droit fondamental est-ce que les différences évidentes dans les deux domaines, si bien exposées par la Cour d'appel dans l'arrêt Houle, justifient vraiment à ce point une attitude qui fait pencher la balance contre le droit au respect de la vie privée au point où nous en sommes maintenant?  Si les enjeux sont moindres dans un instance civile en ce sens que la liberté d'un accusé n'est pas en jeu, est-ce que ce ne serait pas plutôt un argument pour favoriser une protection vigoureuse plutôt qu'un retranchement du droit à la vie privée?

[190]  Tous ne sont pas persuadés du bien fondé de cette approche qui nous semble quelque peu trop conservatrice compte tenu de la conjoncture actuelle.  La dissidence du juge Robert dans l'arrêt Houle nous invite à repenser la position exaltée actuellement réservée à la liberté des moyens de preuve:

[191]  "Selon le professeur Ducharme,90 'c'est seulement dans des cas exceptionnels qu'un tribunal devrait exclure un élément de preuve obtenu par des moyens portant atteinte aux droits et libertés fondamentaux'.  Bien que je sois d'accord avec lui pour dire que la jurisprudence de droit pénal ne peut s'appliquer intégralement en droit civil compte tenu des différences entre les deux systèmes, j'hésiterais à conclure que l'exclusion d'une preuve obtenue en violation d'un droit fondamental constitue une mesure aussi exceptionnelle et à écarter l'application des facteurs d'évaluation retenus en matière pénal."91
[192]  Le professeur Patenaude pour sa part prend une position qui favorise, dans la plupart des cas, l'exclusion de la preuve obtenu en violation d'un droit fondamental.92  Son raisonnement est tout aussi éloquent que celui de la Cour d'appel dans l'arrêt Houle.   Il cite à titre d'exemple la vocation du droit criminel de maintenir l'ordre social par opposition au droit civil qui arbitre entre les intérêts privés, ce qui devrait normalement inciter à l'admission de la preuve dans le premier cas plus que dans le deuxième.  Car la libération d'un criminel dangereux semble un plus grand mal que le rejet d'une action pour exécution en nature d'un contrat.  Il envisage certains domaines du droit civil où les enjeux sont tels, à titre d'exemple en matière de garde d'enfant, que la recherche de la vérité mérite certainement d'être prééminente.  Mais le professeur Patenaude juge que, tous comptes faits, ce seraient là plutôt les cas d'exception, plutôt que la règle générale:
[193]  "Bref, il nous semble normal que les preuves civiles obtenues au moyen d'une atteinte à un droit fondamental soient, en règle générale, rejetées suite à [l'article 2858 C.c.Q.], sauf si un intérêt supérieur n'exige leur réception, ce qui, en matière civile nous semble plus exceptionnel qu'au pénal."93
[194]  NOTES DE FIN DE TEXTE

1. L'auteur est membre du Barreau du Québec et Conseiller juridique principal et secrétaire-adjoint de la société de Bell Canada et de BCE Inc., la plus importante société de télécommunications au Canada.  Les opinions exprimées dans ce texte sont personnelles à l'auteur et ne lient pas Bell Canada ou BCE Inc.  Ce texte a été réalisé dans le cadre d'un colloque organisé par le Barreau du Québec tenu à Montréal le 10 novembre, 2000 et est fondé sur une recherche terminée le 22 septembre  2000.  Il existe en deux versions: une version publiée dans laquelle les références internes citent la pagination, et celle-ci dans laquelle la pagination est remplacée par la numérotation des paragraphes et où les références internes citent les numéros de paragraphes.  Les deux versions sont par ailleurs identiques. 

2. En fait le titre demande un léger ajustement afin de mieux explorer le sujet que nous verrons éventuellement ci-dessous. 

3. Pierre Patenaude, Les nouveaux moyens de reproduction et le droit de la preuve (1986) 46 R. du B. 773, à la p. 773. 

4. Une forme de site Internet interactif, facilitant le travail en équipe et les communautés virtuelles spontanées.  Pour en savoir plus long, faites une recherche sur Internet sur le mot "wiki", le mot Hawaiien pour "vite". 

5. Une bouchée de données concernant une visite que nous effectuons sur un site Internet qui supporte les cookies.  Les cookies sont créés et gérés de façon autonome entre les furreteurs et les serveurs Web.  On peut désactiver les cookies dans la configuration des préférences de notre furreteur. 

6. Comme c'est le cas de la plupart des informations inscrites en mémoire vive, malgré qu'à défaut de mémoire vive, les ordinateurs se servent généralement d'écritures sur disque, une mémoire morte mais peristante. 

7. http://www.dejanews.com 

8. http://www.lexum.umontreal.ca/obiter 

9. Songeons par exemple à l'exemple du XML (extensible markup language), une forme plus puissante du HTML (hypertext markup language), que de plus en plus de logiciels utilisent comme langage de balisage des documents numériques afin de faciliter les échanges et le traitement par les bases de données. Le XML et le HTML sont tous deux les descendants du SGML (standard general markup language), un langage de balisage de documents numériques qui permet de créer des documents "intelligents", porteurs de l'encodage informatique nécessaire pour permettre aux logiciels qui les reçoivent de les interpréter de nombreuses façons. Le XML permet également la création de documents numériques intelligents.   Un simple exemple serait une loi, balisée en SGML, qui permettrait au lecteur d'afficher à l'écran la version de la loi en vigueur à n'importe quel moment de son existence, tenant compte des modifications subies au fil du temps. 

10. Un logiciel robot qui suit la toile des liens hypertextuels de façon autonome et qui indexe le contenu textuel des sites Internet parcourus aux fins de permettre la recherche. 

11. C'est le cas notamment des clés de chiffrement générées aléatoirement pour protéger une session ou un échange informatique. 

12. A date, la seule cause qui fait référence aux dispositions du Code civil sur la preuve des inscriptions informatisées est l'arrêt Commission des normes du travail c. 9015-9237 Québec Inc. D.T.E. 2000T-159 (C.Q.) 

13. L'auteur a soulevé ce problème antérieurement.  Voir David Masse, Op. Cit, La preuve des inscriptions informatisées Congrès Annuel du Barreau du Québec (1997) à la page 429, et sur Internet à http://www.masse.org/Cic97bar.htm

14. Voir à cet égard la thèse qui écarterait l'admissibilité dans le cas où l'acte juridique est constaté antérieurement à son constat dans un document numérique: Léo Ducharme, Le nouveau droit de la preuve en matières civiles selon le Code civil du Québec 23 R.G.D. 5, aux pages 37 à 38. La thèse majoritaire favorisant l'admissibilité est soutenu par les auteurs suivants: Pierre Trudel, Guy Lefebvre, Serge Parisien La preuve et la signature dans l'échange de documents informatisés au Québec, Les Publications du Québec, Québec, 1993, aux pages 23 et 24; Claude Fabien, La communicatique et le droit civil de la preuve dans Le droit de la communicatique - Actes du colloque conjoint des Facultés de droit de l'Université de Poitiers et de l'Université de Montréal, Montréal, Les Éditions Thémis, 1992, p. 186. 

15. Voir David Masse, Op. Cit, La preuve des inscriptions informatisées aux pages 439 et suivants et 487 et suivants, et sur Internet à http://www.masse.org/Cic97bar.htm aux paragraphes 58 et suivants, et 217 et suivants. 

16. En effet, le commentaire du Ministre de la justice sur cet article de droit nouveau émis lors de l'adoption du Code civil précise que "...cette définition est suffisamment large pour comprendre par exemple un numéro de code spécifique permettant d'identifier une personne en matière d'inscriptions informatisées; en effet, la signature ne correspond pas uniquement à l'écriture qu'une personne fait de son nom." 

17. Pierre Trudel, Guy Lefebvre, Serge Parisien, Op. cit, pages 65 et suivants.

18. Jean-Claude ROYER, La preuve civile, 2ième édition, Les Éditions Yvon Blais, no. 332, à la p. 188. 

19. Article 1235 C.c.B.C. 

20. Article 2828 C.c.Q. 

21. Article 2826 C.c.Q. 

22. Article 2837 C.c.Q. 

23. Article 2828 C.c.Q. 

24. David Masse, Op. cit. 

25. Jean-Claude Royer, Op.cit., p. 231. 

26. Article 2839 C.c.Q. 

27. Article 2863 C.c.Q. 

28. Jean-Claude Royer, Op. cit., no 409, p. 229 à l'effet que l'article 2863 C.c.Q. ne trouve pas d'application dans le cas du document numérique et le même auteur aux nos 1511 et suivants, pp. 919 et suivants sur l'admissibilité de la preuve contredisant les termes de l'écrit. 

29. Article 2857 C.c.Q. 

30. Voir les Articles 2832, 2843 et 2870 C.c.Q. 

31. Jean-Claude Royer, Op. cit., no 682, p. 402. 

32. Pierre Trudel, Guy Lefebvre, Serge Parisien, Op. cit, page 32. 

33. Yves Poullet, Droit de la preuve: de la liberté aux responsabilités, texte d'une conférence présentée au colloque annuel
de 1992 de l'Association québecoise pour le développement de l'informatique juridique. 

34. Voir David Masse, Op. cit, La preuve des inscriptions informatisées au paragraphe 47. 

35. Articles 2832 et 2852 C.c.Q. 

36. Article 2845 C.c.Q. 

37. Voir ci-dessus à la p. 13. 

38. Loi sur l'assurance automobile L.R.Q. c. A-25, art. 83.19. 

39. Voir à titre d'exemple l'article 25.3 de la Loi sur le régime des rentes du Québec L.R.Q. c. R-9, l'article 16.2 de la Loi sur la Régie de l'assurance-maladie du Québec L.R.Q. c. R-5, l'article 15.4 de la Loi sur le ministère de la Sécurité du revenu L.R.Q. c. M-19.2.1 et l'article 357 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles L.R.Q. c. A-3.001. 

40. Lise I. Beaudoin, Avant-projet de loi québécois sur la normalisation juridique des NTI, complexité et absence d'harmonisation, Le journal du Barreau, Vol 32, No. 16, 1er octobre, 2000, p.1. 

41. L.R.Q., c. C-12. 

42. Charte des droits et libertés de la personne L.R.Q., c. C-12, art. 5 

43. Il s'agit aujourd'hui de l'article 2857 C.c.Q. et de l'article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne qui consacrent le principe de la liberté des moyens de preuve.  C'est essentiellement une codification de la règle non écrite de droit commun qui remonte à la common law britannique: R. c. Leatham (1861) 8 Cox C.C. 498; Kuruma c. R.  [1955] A.C. 197; Léo Ducharme, Précis de la preuve, 4ième édition, Wilson & Lafleur, 1993, par. 738, p. 244; Sopinka, John, Lederman, Sidney N. and Bryant, Alan W. The Law of Evidence in Canada (2nd Ed.) Toronto: Butterworths, à la p. 401.

44. Édith Deleury et Dominique Goubau identifient effectivement quatre facteurs à cet égard: le développement technologique, l'émergence des sociétés de masse, la commercialisation de la personalité et le pluralisme des morales et des valeurs.  Voir Édith Deleury et Dominique Goubau, Le droit des personnes physiques, 2e éd. Cowansville: Y. Blais, 1997, aux pages 135 et suivants. 

45. Cordingly c. Nield (1874) L.C.J. 204; Robbins c. Société Radio Canada [1958] C.S. 152; Deschamps c. Renault Canada [1977] C. de. D. 937 (C.S.); Erez Sewing Machine Co. c. Vêtement Super Vogue Inc. [1980] C.P. 157. 

46. [1999] R.J.Q. 2103. 

47. A la p. 2107. 

48. Patrick Glenn, Les nouveaux moyens de reproduction et le droit de la preuve (1980) 40 R. du B. 827, ;a la p. 827. 

49. [1980] C.P. 157. 

50. A la p. 162. 

51. [1991] R.J.Q. 373. 

52. A la p. 380. 

53. [1991] R.J.Q. 2490. 

54. Cadieux c. Service de gaz naturel Laval inc. [1991] R.J.Q. 2490 (C.A.), à la page 2493. 

55. [1992] R.J.Q. 2419 

56. (1985) C.S. 343. 

57. A l'effet que l'article 49 pourrait servir à exclure une preuve qui violerait l'article 5 de la Charte

58. "23. Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu'il s'agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle." 

59. Léo Ducharme, Op. cit., par. 760, p. 251. 

60. Léo Ducharme, Op. cit., pars. 757 et suivants, pp. 249 et suivants. 

61. Léo Ducharme, Op. cit., par. 766, p. 253. 

62. Roy c. Saulnier [1992] R.J.Q. 2419 (C.A.) 

63. Léo Ducharme, Op. cit., par. 771, p. 254. 

64. [1995] R.J.Q. 787 

65. à la p. 792. 

66. Wilson c. Bano [1995] R.J.Q. 787, à la p. 792. 

67. Renzo c. Prudential-Bache Securities Canada Ltd. [1991] R.J.Q. 373 (C.S.); Wilson c. Bano [1995] R.J.Q. 787 (C.S.); Compagnie d'assurances Standard Life c. Rouleau [1995] R.J.Q. 1407 (C.S.); Droit de la famille — 2206 [1995] R.J.Q. 1419 (C.S.). 

68. Roy c. Saulnier [1992] R.J.Q. 2419 (C.A.).  Voir également Droit de la famille - 2206 [1995] R.J.Q. 1419 (C.S.) où la mère a enregistré une conversation entre son enfant et le père de l'enfant qui a été admis en preuve. 

69. J.E. 95-1099 (C.S.) 

70. A la page 38 de la transcription du jugement rendu sur le banc. 

71. A la page 37. 

72. [1997] 3 R.C.S. 844 

73. A la p. 859 

74. [1998] 1 R.C.S. 591 

75. [1993] 3 R.C.S. 281 

76. Voir le jugement du juge Sopinka à la p. 292 

77. A la p. 293 

78. A la p. 303 

79. J.E. 99-375 (C.S.) 

80. Voir ci-dessus à la note 3 

81. [1999] R.J.Q. 1894 (C.A.) 

82. Mascouche (Ville de) c. Houle [1999] R.J.Q. 1894 (C.A.) 

83. [1991] R.J.Q. 2490 (C.A.).  Voir ci-dessus à la p. 22. 

84. Mascouche (Ville de) c. Houle [1999] R.J.Q. 1894 (C.A.), à la p. 1905. 

85. À la p. 1908. 

86. [1999] R.J.Q. 2229 (C.A.) 

87. A la p. 2241. 

88. A la p. 2244. 

89. R.E.J.B. 2000-19260 22 juin 2000 (C.S.). 

90. Voir la citation complète ci-dessus à la page 25. 

91. Mascouche (Ville de) c. Houle [1999] R.J.Q. 1894 (C.A.), à la p.1921. 

92. Pierre Patenaude, La preuve, les techniques modernes et le respect des valeurs fondamentales Les éditions revue de droit Université de Sherbrooke, Sherbrooke, 1990, pp. 86 et suivants. 

93. Ibid, p. 102.
 

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© David Masse - Novembre 2000